Tutos, couture et écriture
23 Mars 2016
Je ne saurais pas dire quand l'envie m'est venue. Sûrement à force de regarder mes copines qui faisaient les braves sur la toile. "C'est pas si difficile, il suffit de suivre les étapes". Elles avaient l'air heureuses avec, je me suis dit, pourquoi pas moi ? Je crois que les copines baignaient dans l'hormone de l'oubli, et moi dans l'hormone de l'inconscience.
Bref, j'ai cousu un manteau.
C'était mon premier manteau, je n'étais pas très renseignée. Le jour de mes trente ans, sur un coup de folie, autour d'un thé chez Brin de Cousette avec une amie très chère, j'ai sauté le pas et acheté le patron du Quart Coat.
J'ai lu la notice en buvant de la tisane, avec angoisse et fascination. Ça paraissait à la fois si difficile et si simple...
La gestation a été longue. J'ai couvé avec amour le tissu qui me semblait parfait, une laine bouillie grise avec un peu d'élasticité. J'avais d'abord pensé que je préférais bleu, et puis finalement non. Pas très loin du terme de l'attente j'ai trouvé chez ma copine un micro-satin très classe et un passepoil pour briller dès le premier jour.
Et puis il a fallu y aller.
Les encouragements de papa dodu qui me tenait l'aiguille.
Les appels inquiets de ma mère qui voulait des photos "devant et dos, intérieur aussi".
28 heures de travail. 28 heures, Madame.
J'ai commencé par les plis, j'ai trouvé que je gérais.
Et puis les boutonnières passepoilées, plus difficile, j'ai repris mon souffle et j'ai commencé à maudire toutes celles qui faisaient style que" tu verras c'est que du bonheur".
On a vu enfin la tête de manche, je l'ai soutenue comme j'ai pu mais il y avait trop d'épaisseur, j'ai demandé de l'aide, on a coupé et on a mis des épingles à la place des fronces. Laurence Pernoud Pauline et Alice recommandaient les épaulettes et les cigarettes de manche. Elles étaient bien dans le projet de naissance, mais sur le coup à l'instinct je les ai faites puis découses, je me suis trouvé les épaules trop petites pour ça.
Le découragement quand les pièces entoilées ont fait perdre au lainage toute son son élasticité et donc ne correspondaient plus aux pièces non entoilées. La douleur quand j'ai brûlé une partie du devant et mes doigts avec au fer à repasser.
J'ai cru qu'on allait en rester là, j'ai pensé à toutes ces filles avant moi qui ont fait des Quart Coat et qui ne les ont jamais fini, autour de moi le monde s'agitait et j'ai passé la vague.
Et, soudain, il était là. C'est ma plus belle couture.
Avec ses petits plis, avec son col tout chaud, doux comme un nuage. On s'est regardés, et on s'est reconnus.
Bien que ses ourlets me laissent d'indélébiles cicatrices de couture à la main, bien qu'il aie bouffé une partie de mes nuits, bien qu'il ne soit -presque- pas parfait, ivre de fierté et baignée de l'hormone de l'oubli, je commence doucement à rêver à mon prochain Quart Coat.