6 Juillet 2021
L'autre jour que je glandais sur le site de Sezane en constatant combien tout est hors de prix le T.shirt à message est tendance, j'ai eu envie de coudre le mien.
Pour la couture, pas de problème. Les prêtresses de Deer and Doe ont conçu le patron blockbuster gratuit du T.shirt Plantain.
Pour le message, en revanche, j'ai mis vachement de temps à trouver.
Je voulais un mot qui me parle, mais qui ne soit pas trop universel. Quelque chose qui est du sens, un message percutant, drôle, intelligent, décalé, tout moi quoi.
J'ai éliminé "Spice up your life (t'as la ref ?)" ou encore "Chirac ou le Pen, l'arnaque ou la haine" (t'as encore la ref ? tu étais définitivement un ado dans les années 90).
J'ai fini par envisager un t shirt juste blanc, parce qu'à la base, cette histoire de T.shirt, c'était parce que j'avais pas de basique pour mettre avec mes jupes longues, oui j'ai de graves problèmes.
Et soudain, j'ai une fulgurance.
L’incarnation pour moi de la détermination et de l'ile flottante.
Arlette.
Arlette, c'est ma mamie, et je préfère te dire tout de suite que je ne connais pas son âge. Il parait que plus on est très vieux, plus on risque un jour de mourir. Donc, je préfère rester dans l'ignorance.
Mamie Arlette, elle a cette façon de se tenir devant son petit réfrigérateur quand elle dit "qu'est-ce que je mets en entrée". Comme si ton avis sur cette question comptait. En fait, elle sait déjà depuis cinq heures du matin ce qu'elle va mettre en entrée. Elle cuisinera sans que tu t'en rendes compte et elle dira que c'est pas grand chose. Et ça ressemblera au genre de truc que toi tu ne sers que pour le réveillon en ayant passé deux heures à te battre avec ton thermomix.
Pourtant, quand on était petits, affalés sur le canapé vert du salon à regarder le cirque qu'elle nous enregistrait sur des cassettes vidéos, on avait le droit de choisir le dessert. Il y en avait souvent un qui disait "mousse au chocolat", l'autre "crème au tapioca " et un troisième "ile flottante". Moi, je disais toujours "ile flottante". Le soir, on regardait la météo sur plusieurs chaines différentes, et sur la table avec une nappe provençale il y avait une mousse au chocolat, une crème au tapioca et une ile flottante.
Ma mamie Arlette m'a appris à tricoter, et si elle n'est pas vraiment pédagogue elle est toujours encourageante. Un soir chez elle en allant me coucher, j'ai râlé parce que j'avais encore au moins quarante centimètres de jersey pour finir une écharpe et que c'était ennuyant. Le lendemain, à huit heures, il n'en restait plus que cinq à faire et encore, c'était parce qu'elle avait dû aller chercher le pain.
Mamie Arlette, quand tu lui donnes un patron chiadé de créatrice indépendante, elle grommelle que c'est bien compliqué et elle se tape tous les Bergère de France depuis 1992 pour trouver un modèle qui (ne) ressemble (pas). Si on devait mettre bout à bout tout ce qu'elle a tricoté on pourrait couvrir le Vaucluse avec des pulls à torsades. Il peut se passer une jambe cassée ou une pandémie mondiale, le soir, invariablement, pendant que Papi Maurice ronfle, Mamie Arlette fait des vestes avec des grandes aiguilles en métal et toujours un catalogue épais qui traine à ses pieds.
Je ne sais pas quel genre de mère je suis. Mais je sais quelle genre de grand mère je voudrais être, le genre qui prend sur le fait un cambrioleur chez elle et qui le met en fuite sans se démonter, le genre qui coud des boutons colorés sur des vestes épaisses confectionnées en un tour de main "pour te dire de faire une fantaisie".
Le genre qui sait dire à chacun combien il est important, avec de l'ile flottante, de la mousse au chocolat et de la crème au tapioca.