24 Mai 2020
J'ai pris ces photos le lendemain de mon accouchement, à la maternité.
Ce qu'on voit :
- Un T shirt trop grand trouvé sur Vinted recyclé pour allaiter. J'ai ouvert les côtés, cousu une bande de pressions, échancré l'encolure à cru et supprimé les manches (la tête d'épaule était tellement loin de ma propre carrure qu'elle fait parfaitement office de mancheron).
- La fierté de la fille qui a réussi à démouler un mioche-qui-s'appelle-Philémon-oui-comme-la-bd et se laver les cheveux à moins de 24 heures d'intervalle.
- Que le noir amincit et que les salles de bain d’hôpital ne font pas un si mauvais teint
Ce qu'on ne voit pas :
- Le bébé déjà tant aimé qui dort dans son petit berceau type tupperware, et qui n'est pas le seul à porter des couches.
- La démarche en canard qui va perdurer des jours (semaines ?) , l'odeur de ferme bio des marais poitevins même après une douche. Les points qui tirent (Ah on a voulu faire la maline à accoucher sans péridurale !), les deux nuits blanches, les hormones en bataille.
Quand un enfant nait, on entend souvent que c'est un miracle, un mystère.
Je pense que c'est faux. Ce n'est pas un miracle, tombé d'une cigogne ou sorti d'un chou.
Ce n'est pas un mystère, venu du croisement mystique entre le saint esprit et une licorne à paillettes roses.
Tout, ça, c'est la force des femmes.
C'est la force des femmes de porter des enfants. De les vouloir d'abord, parfois au défi des lois de la nature. Parfois après un deuil, et même en temps de guerre. Ou parfois, de ne pas les vouloir, avant, dans ou en dehors des délais légaux.
C'est le courage des femmes de partager leur corps. Avec la médecine, avec les protocoles. Avec le regard des autres "il est bien bas c'est un garçon" "ah vous avez le choix du roi" "et cette chambre vide dans votre maison, à quand le deuxième ?". Et avant tout, avec l'enfant. Qui est dans le ventre et dans le cœur à la fois. Qui ne fait qu'un mais qui est déjà un autre que sa mère. Qui peut s'en aller dans des torrents de larmes et de sang.
Ce n'est pas le miracle de la nature, ce sont les femmes entre elles. La femme avec sa mère avant elle, et toutes les mères de ses mères avant elles. Ce sont les soignantes qui, autour de la maternité sont presque toujours des femmes, qui écoutent et répondent, qui prélèvent et mesurent, qui tiennent entre leurs mains les crânes humides des bébés qui sortent d'autres femmes. Qui tiennent avec leurs mains les mains humides des femmes qui mettent au monde leurs bébés.
Ce n'est pas une histoire de chou ou de cigogne, c'est une histoire de bouleversement et d'amour. C'est une plongée au fond de soi. Ce n'est pas un rose layette, c'est le rouge intense et sauvage du saignement des cycles des femmes.
On accouche pas les femmes, elles accouchent. Elles sentent monter. Elles pleurent, elles dansent, elles dorment, elles supplient, elles grognent, elles jouissent. Elles sont debout dans la pénombre de leur salon, elles sont confiantes dans le confort d'un hôpital. Elles sont recousues, elles sont césarisées. Elles ont peur ou elles ont mal, elles trouvent quand même au fond d'elles mêmes le courage de pousser, d'accueillir. Elles font le choix d'aimer, parfois tout de suite, parfois longtemps après.
Elles font ce qu'elles peuvent. Elles craquent, elles pleurent. Et c'est OK.
Elles assurent.